Reuters – L’incertitude pesait lundi sur la future architecture gouvernementale de la France au lendemain de la victoire inattendue du Nouveau Front populaire (NFP) aux élections législatives anticipées, une alliance de gauche hétérogène fragilisée par une majorité relative face à un camp présidentiel qui ne s’avoue pas vaincu malgré un net recul et prône une coalition “centrale”.
Dans un renversement de situation que les instituts de sondage n’avaient pas vu venir, l’élan sans précédent du Rassemblement national (RN), galvanisé par sa victoire aux élections européennes et au premier tour des législatives, s’est brisé sur le “front républicain” bâti dans l’entre-deux-tours pour empêcher une cohabitation avec l’extrême droite.
Le RN de Marine Le Pen, réélue dès le premier tour à Hénin-Beaumont (Pas-de-Calais), sera la troisième force de l’Assemblée nationale avec 143 sièges, une progression notable par rapport aux 89 sièges conquis en 2022 mais éloignée de ses ambitions.
Louis Aliot, vice-président du RN, a plaidé lundi pour “un examen de conscience” et Sébastien Chenu, porte-parole du parti, a promis une opposition “sans compromission”.
Le NFP compte 182 élus, selon les résultats officiels, et la majorité relative sortante (Renaissance, Horizons, MoDem) 168 élus après avoir en avoir perdu une centaine.
Dans cette chambre tripartite, aucune force ne dispose donc de la majorité absolue (289 sièges). Une réminiscence du parlementarisme de la IVe République marquée par une forte instabilité ministérielle.
Selon l’article 8 de la Constitution, il revient au président de la République de nommer le Premier ministre pour conduire la politique de la Nation. La pratique veut que ce dernier soit issu des rangs de la force dominante à l’Assemblée.
Le NFP (La France insoumise, Parti socialiste, Europe Ecologie-Les Verts, Parti communiste) a entamé dès dimanche soir des discussions pour s’entendre sur le nom d’un candidat ou d’une candidate au poste de Premier ministre.
DU TEMPS, ET DES TRACTATIONS
La construction d’un gouvernement pérenne, résistant aux motions de censure, devrait prendre du temps, tant la donne est inédite sous la Ve République.
Emmanuel Macron, qui ne s’est pas exprimé dimanche soir, a fait savoir qu’il “attendrait la structuration de la nouvelle Assemblée nationale pour prendre les décisions nécessaires” tout en veillant au “respect du choix souverain des Français”.
Le chef de l’Etat, qui, même affaibli depuis la dissolution du 9 juin, entend contrôler le déroulement de cette nouvelle phase institutionnelle, est contraint par son agenda diplomatique. Il devait quitter Paris mardi pour Washington, où il assistera mercredi et jeudi au sommet de l’Otan.
Le Premier ministre sortant Gabriel Attal, qui a définitivement rompu dimanche soir avec le chef de l’Etat (“Cette dissolution, je ne l’ai pas choisie mais j’ai refusé de la subir”) devait présenter lundi sa démission.
Au lendemain des élections législatives de 2022, Elisabeth Borne – désormais députée dans la nouvelle chambre – avait présenté sa démission à Emmanuel Macron, qui l’avait refusée, comme l’y autorise la loi fondamentale, afin que le gouvernement “puisse demeurer à la tâche”.
Gabriel Attal a évoqué cette possibilité en précisant dimanche qu’il resterait à Matignon “aussi longtemps que le devoir l’exigerait”. Le contexte est de fait sensible, avec la proximité des Jeux olympiques qui débutent le 26 juillet.
Dans les rangs de la gauche, qui avait démenti les calculs d’Emmanuel Macron en s’unissant après les européennes, les tractations vont se poursuivre en vue de prendre la succession de Gabriel Attal, sans précipitation souligne-t-on.
“La logique institutionnelle dicte que le président de la République demande au Front populaire de lui proposer un Premier ministre. Je ne vois pas comment ça peut se passer autrement”, a déclaré la secrétaire nationale d’EELV, Marine Tondelier, sur France Inter.
Cette figure montante du NFP a toutefois concédé que désigner un candidat unique pour Matignon ne serait pas “simple” et que cela prendrait “un peu de temps”.
Dès dimanche soir, le chef de file de LFI Jean-Luc Mélenchon, dont les cavaliers seuls intempestifs irritent au sein de l’alliance, a préempté le terrain en appelant le chef de l’Etat à “s’incliner” et à confier les rênes au NFP.
LA “MACRONIE” CROIT EN UNE COALITION AU CENTRE
L’hypothèse Jean-Luc Mélenchon pour Matignon – hypothèse caressée par l’intéressé – est un repoussoir au sein de l’alliance de gauche. Marine Tondelier l’a exclue lundi.
Ses alliés, notamment Mathilde Panot, ont toutefois défendu cette option lundi sur RTL, estimant que l’ancien candidat à l’élection présidentielle n’était “pas disqualifié”. Le député LFI des Bouches-du-Rhône Manuel Bompard a éludé sur France 2, soulignant que “plein de personnes [étaient] crédibles” à gauche pour appliquer le programme du NFP.
“Il faut que dans la semaine, nous puissions être en mesure de présenter une candidature”, par consensus ou vote, a déclaré le premier secrétaire du PS, Olivier Faure, sur franceinfo.
Le PS qui fait quasiment jeu égal avec LFI dans la nouvelle Assemblée (alors qu’il en comptait 31 dans la chambre sortante), sait pouvoir influer sur les discussions, avec l’appui notamment de l’ancien président François Hollande, élu en Corrèze, et de l’eurodéputé Place publique Raphaël Glucksmann.
Au jeu des alliances, le camp présidentiel, où les ministres-candidats sont quasiment tous élus, veut convertir en actes le “temps du pluralisme”, selon l’expression de François Bayrou sur France Inter. Le président du MoDem, à l’instar de l’ancien Premier ministre Edouard Philippe, est convaincu qu’une coalition “centrale” est possible de “Marine Tondelier à Laurent Wauquiez”, ce qu’a déjà refusé le PS.
La ministre sortante de l’Education nationale Nicole Belloubet a évoqué sur LCI “un arc républicain” fondé sur “le centre-gauche” tandis qu’Aurore Bergé (Egalité entre les hommes et les femmes) tend la main aux Républicains (LR), qui conservent un rôle de pivot à l’Assemblée.
Les Français “n’ont pas souhaité qu’un groupe ou qu’une force politique soit hégémonique (…). Ils nous enjoignent à nouveau de travailler ensemble, de trouver des voies”, veut croire sur France 2 l’ex-présidente de l’Assemblée nationale Yaël Braun-Pivet.