Une étude visant à rationaliser la portée nominale des phares met en danger le feu du célèbre Phare du Créac’h, l’un des plus puissants du monde, dans l’une des régions maritimes les plus dangereuses, sur l’ile d’Ouessant, à la pointe du Finistère. Depuis 1863, il s’apparente pourtant à une véritable vigie pour les Ouessantins, les plaisanciers, les équipages de course au large, et notamment ceux qui se lancent sur le Trophée Jules Verne, ou encore les navires de commerce. L’association Ouessant Vent de Bout’, a mis en place une pétition pour sauver le phare du Créac’h. Les habitants se mobilisent, les marins aussi.

©Dominique Baot

Petit retour sur l’histoire
L’augmentation du tonnage des flottes de commerces Européennes lié au développement des empires coloniaux, va nécessiter dans la deuxième moitié du XIXè siècle, un renforcement de la signalisation dans les zones très fréquentées et particulièrement dangereuses, au premier rang desquelles se trouve la pointe du Finistère et plus particulièrement Ouessant.

Dès 1859, un échange de correspondance entre l’administration des Phares et celle des Fortifications, va conduire à établir une nouvelle tour sur la pointe NO de l’ile au lieu-dit Le Créac’h.
Ce phare va, dès sa construction et jusqu’au milieu des années 1990, bénéficier d’aménagements en lien avec les avancées technologiques du moment, afin de toujours améliorer le système. Il va être : LE phare test des systèmes innovants, et deviendra LE phare le plus important du pays.

En 1937, lors de l’exposition universelle, le pavillon électricité, bâti sur le Champs de Mars, présente un record : une optique de 65 cm de distance focale, éclairée par un arc sur courant continu sous une intensité de 450 Ampères, produisant dans l’axe optique une puissance lumineuse de 500 millions de candélas. C’est le système lumineux le plus puissant jamais construit alors. Et cet appareil va équiper le phare du Créac’h qui devient le phare le plus puissant du Monde.

L’installation du système nécessite une modification de la partie supérieure du phare et la construction à son pied d’une centrale susceptible de fournir l’énergie nécessaire pour l’alimentation des 4 arcs, de 50KW.

La lanterne destinée à abriter l’appareil optique, mesure 13m de haut et pèse 37 tonnes, et l’appareil lenticulaire lui-même, composé de quatre ensembles lenticulaires de 2,20 m de diamètre, répartis sur deux étages et flottant sur un bain de mercure, pèse plus de 23 tonnes.
Une importance particulière lui a été accordée pendant plus de 130 années en faisant évoluer ce feu pour toujours l’améliorer.

Et aujourd’hui ?

A l’origine du déclassement du phare du Créac’h : le projet de supprimer le mercure sur lequel flotte l’appareil lenticulaire.

La Direction des Affaires Maritimes a demandé à chacune des Directions interrégionales de la mer d’étudier une nouvelle classification des feux d’atterrissage et des feux de jalonnement. Voici ce qu’il en ressort : « le phare du Créac’h n’a pas été classé atterrissage ni de jalonnement. Seul le phare du Stiff a été proposé au classement. »

Le Phare du Stiff devient le feu principal d’atterrissage avec une portée nominale de 22M et « Il a été identifié que le phare du Créac’h devait couvrir les dangers du rocher de l’ile Keller. Le besoin nautique initial retenu pour le Créac’h est de 2M soit une portée nominale de 8M.»
Mais comme « Un feu, un phare, non classé, peut être retenu comme fe u complémentaire ou feu redondant et contribuer ainsi, soit à l’atterrissage ou au jalonnement ». Aussi : « l’une des propositions présentées en plus de son intérêt patrimonial est : Le Phare du Créac’h est redondant avec le phare du Stiff. Ainsi, il est proposé que le phare du Créac’h participe à cette redondance. La portée du feu d’atterrissage étant supérieure au besoin nautique lié au danger signalé (2M), la nouvelle portée nominale du phare du Créac’h à prendre en compte est de 19M. »

Un phare utile et irremplaçable

Pour Christian Dubet, ouessantin, spécialiste des phares, dont le père était gardien du phare du Créac’h pendant 24 ans : “Le Creac’h représente le Phare « Amiral » des Phares Français. Je l’ai toujours vu ainsi, comme le plus puissant et le plus élégant dans sa tenue d’apparat noire et blanche.

Déclasser le Creac’h c’est lui arracher ses galons et le mépriser après plus de 160 années de service. Même avec une cartographie et son point GPS, un marin sera toujours plus rassuré en relevant un phare de visu qu’en regardant son écran. Quid de la panne électronique à bord ? De la possibilité en cas de conflit de brouiller/réduire les données GPS ?

La réalité économique ? On fait tourner sur la Tour Eiffel un feu qui n’a aucune fonction si ce n’est esthétique. Près de 11 millions d’euros vont être investis dans la réhabilitation du magnifique musée des phares, situé dans l’ancienne centrale au pied de la tour du Créac’h. Et l’on veut dépouiller son feu dans le même temps alors que c’est un trésor, un témoin vivant de la technologie de son époque ; le meilleur de ce qu’on put concevoir les ingénieurs des Phares et Balises qui a fait la fierté de tout un pays ? Le phare a été classé monument historique. Mais classer le phare sans son feu c’est un non-sens, une coquille vide ! »

“Tous les Ouessantins et les familiers de la côte et des îles ont des souvenirs avec le Créac’h, des retours de pêche en canot de nuit avec le feu qui rassure, des vagabondages sans lumière dans la lande quand on se repère entre les éclats pour rentrer, tous les plaisanciers de retour des îles Scilly ou empruntant cette route, ont goûté cette sensation d’être accompagnés, un si long moment, par sa Lumière bienveillante qui donne le chemin, sans parler des marins de course au large du trophée Jules Verne dont le Creac’h marque la lig ne d’arrivée (et de départ) avec son frère anglais du Cap Lizard ; ou bien de la marine de commerce : le Créac’h éclaire l’une des routes maritimes les plus fréquentée au monde et sécurise les pêcheurs côtiers.”

Mobilisation au-delà de Ouessant

A Ouessant, la population s’est rapidement mobilisée, attachée à ce phare emblématique et extrêmement utile. Cette mobilisation s’est propagée bien au-delà puisque, huit jours après sa mise en ligne, une pétition a reccueilli plus de 15 000 signatures.

Pour Jacques Caraës, finistérien et double co-détenteur du Trophée Jules Verne (Orange 2 et Groupama) : « Le phare du Créac’h est notre point de départ et surtout notre point d’arrivée sur ce fabuleux parcours autour du monde qu’est le Trophée Jules Verne. Le retour vers le vieux continent après un tour du monde sans escale par les trois caps est forcément immortalisé par ce faisceau qui balaye à 360 ° et qui, de minute en minute, devient de plus en plus visible. Il est notre appel du large, plus besoin de regarder l’électronique du bord, il devient, au milieu de la nuit, le gisement le plus précis pour nous orienter dans nos vitesses folles. Il est comme un aim ant, un guide, une bienveillance après 48 jours de mer pour faire le tour de la planète. Il est notre ami, celui qui nous attire vers l’arrivée. Son intensité devient si forte qu’il nous envahit de bonheur, il nous envoute presque par sa bienveillance. Il balaye nos visages comblés de dépassement de soi. Cet instant magique est unique. C’est forcément à ce moment-là que chacun d’entre nous imagine l’époque de la marine à voile. Ce merveilleux phare était l’unique guide à l’entrée de la Manche pour permettre un atterrissage en sécurité sur notre côte nord finistérienne. Longue vie au Créac’h. »
 
Pour que ce feu ne s’éteigne pas, l’association Ouessant Vent de Bout, a mis en ligne une pétition déjà signée par plus de 16 400 personnes en deux semaine : https://chng.it/Yf9n8wmFRt

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